Un développement hétérogène

L’histoire qui mène les peuples d’Europe centrale et orientale jusqu’au XXe siècle aura été marquée par la soumission pour chacun d’entre eux à des puissances extérieures. Leur niveau de développement économique et social dépend donc partiellement de la place qu’ils ont occupée au sein de ces empires, les pays d’Europe centrale et ceux d’Europe orientale et balkanique ayant à ce titre vécu des expériences très différentes.

Dans le langage courant, les pays d’Europe centrale comprennent la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, scindée en République tchèque et Slovaquie en 1993. Pour des raisons historiques, il est logique d’y adjoindre la Lituanie, petite sœur de la Pologne et foyer historique de la culture yiddish, ainsi que les deux autres Etats baltes, la Lettonie et l’Estonie, marqués par un passé germanique et nordique. La Slovénie, province historique des Habsbourg, et la Croatie, région traditionnellement hongroise [5], revendiquent également leur appartenance à l’Europe centrale. A l’instar de l’Europe de l’ouest, les pays d’Europe centrale ont participé à l’Europe chrétienne du Moyen-âge, à l’émergence progressive des concepts de nation, de démocratie et de laïcité puis, pour certains d’entre eux, à la Révolution industrielle. Il s’agit de pays à l’histoire riche et ancienne qui ont pu poser les bases de sociétés organisées et de structures économiques performantes, y compris lorsqu’ils étaient placés sous domination étrangère.

Les pays d’Europe orientale et balkanique forment un groupe composé de peuples hétérogènes essentiellement orthodoxes et musulmans, dont les consciences nationales n’ont émergé qu’après la seconde moitié du XIXe siècle. Pendant des siècles, la domination autoritaire exercée par l’Empire ottoman et, dans une moindre mesure, par l’Empire russe ont conduit à reproduire les mêmes sociétés archaïques. Celles-ci sont restées faiblement structurées et construites autour de réseaux tels que la cellule familiale et le village.

Comme l’explique J.-F. Bayart [6], la période précommuniste joue un rôle non négligeable dans la réussite de l’actuelle phase de transition, l’économie de marché nécessitant, outre des règles formelles et un cadre juridique adéquat, des mentalités, des traditions et une rationalité conformes au capitalisme. Contrairement aux pays d’Europe centrale qui peuvent s’appuyer sur une histoire économique, les pays d’Europe balkanique et orientale sont enlisés dans leur processus de transformation économique. Ainsi les Bulgares imputent-ils partiellement la cause de l’impasse économique et politique actuelle aux cinq siècles d’oppression ottomane, qui selon eux détruit la société civile alors pourtant que leur pays jouait au Moyen-Age un rôle dominant parmi les peuples slaves. La Serbie connut le même sort, mais elle obtint une autonomie substantielle dès le début du XIXe siècle. Seule la Roumanie, qui dépendait depuis 1750 davantage de la Russie que de l’Empire ottoman, a pu construire une identité et un développement social ancien et significatif, notamment grâce à la large autonomie de ses provinces de Valachie et de Moldavie [7].

En 1938, la Tchécoslovaquie était le septième pays au monde au classement du PNB par habitant.

La photo à gauche représente une publicité de Singer Bratislava datant du début du siècle.


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[1] Ancêtres des Bulgares, les Protobulgares étaient un peuple parlant une langue turque, mais qui s’est ensuite slavisé.

[2] L’unité de la Roumanie datait de 1862, à la suite de la fusion de la Moldavie et de la Valachie.

[3] La mise en place définitive des frontières a demandé plusieurs années, d’autant que certains territoires avaient vu cohabiter de nombreux peuples pendant des siècles.

[4] Pendant près de quatre-vingts ans, le royaume des Croates, des Serbes et des Slovènes puis la Yougoslavie ont entrepris, sans succès, d’homogénéiser le développement de régions se basant sur des héritages distincts. Aujourd’hui la Slovénie et, dans une certaine mesure, la Croatie ont réintégré l’Europe du centre et de l’ouest avec lesquelles leurs liens sont profondément tissés dans l’histoire, au contraire de la Fédération de Serbie-Monténégro, de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine, qui furent lourdement influencées par le joug ottoman.

[5] La Dalmatie, région croate bordant la côte adriatique, faisait quant à elle partie de l’empire d’Autriche.

[6] J.-F. BAYART, la Réinvention du Capitalisme, Editions Karthala, 1993.

[7] La Transylvanie présente quant à elle des traits proches des régions de Hongrie, dont elle a fait partie du XIIIe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale.

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