Les réactions des populations face à limposition dun modèle de société
Malgré les efforts dendoctrinement des populations, celles-ci nont jamais été dupes des motifs réels de lapplication dun tel système, dictatorial, injuste et niant les libertés publiques fondamentales. La normalisation des comportements pour créer un « homosovieticus » visait en théorie lachèvement de buts philosophiques, mais elle était en réalité le meilleur moyen de contrôler les populations. Il sagissait pour les gouvernants de maintenir le système en place, celui-ci servant avant tout les intérêts de la Nomenklatura. La protection face aux risques dimplosion interne était assurée par lURSS, qui liait son soutien aux gouvernements au versement de réparations particulièrement lourdes et dindemnités relatives à la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par un transfert de richesses savamment organisé au sein du CAEM.
A partir de la fin des années 1950, les derniers convaincus de la cause communiste laissèrent la place aux opportunistes, qui adhéraient au Parti essentiellement à cause des avantages matériels ou relationnels quils pouvaient en tirer.
Les communistes ne constituaient quune frange marginale de la population, souvent dénigrée par le peuple. La plupart des gens refusaient de tomber dans la compromission communiste, mais peu saventuraient à contester ouvertement le régime. Certaines réactions, qui continuent dinfluencer les comportements actuels, furent alors développées. Dune part, le sens de léthique nétant ni nécessaire ni utile, les individus ont vite appris lindividualisme et le « système D », sans exclure néanmoins une forte solidarité. Dautre part, lardeur au travail étant handicapée par des récompenses strictement honorifiques [3], le stakhanovisme officiel des travailleurs cachait mal la démotivation, le faible effort et labsentéisme observés en pratique. Aujourdhui encore, les mentalités au travail restent influencées par le système passé, mélange de bureaucratie, de fonctionnariat universel et de désorganisation.
Face à ce modèle de société imposé par lURSS, les individus nont pas partout apporté les mêmes réactions, ce qui traduit des traits de caractère propres aux habitants de chaque pays. Tandis que les Bulgares acceptaient leur soumission au point dêtre considérés comme le peuple communiste modèle [4], les Polonais manifestaient inlassablement leur traditionnel irrédentisme [5], notamment à travers les samizdat et leur syndicat Solidarnosc, et, dans une moindre mesure, les Hongrois parvenaient à mettre en place une certaine dose de libéralisme grâce au « socialisme à la goulash ». Il nest donc pas étonnant que les premiers événements ayant entraîné la libéralisation économique et politique des pays de lEst soient survenus dans ces deux derniers pays, au début de lannée 1989.
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[3] Les récompenses n'étaient jamais pécuniaires, l'honneur suprême étant de recevoir les gratifications portant le nom d'ouvriers modèles tels que A. Stakhanov.
[4] Une blague bulgare raconte lhistoire suivante. Trois chiens, un français, un polonais et un bulgare, discutent dans un parc. Le chien bulgare sexclame : « jai faim ! ». Le chien français lui répond : « Tu nas quà aboyer, et ton maître tapportera de la viande ». Les chiens polonais et bulgare se regardent alors dans les yeux, étonnés. Le premier demande : « quest-ce que cest, la viande ? » et le second : « quest-ce que cest, aboyer ? ».
[5] Dans son essai « lÂme captive », C. Milosz montre comment la Pologne sest accommodée du stalinisme en pratiquant lart de Ketman, qui permettait aux hommes dans la Perse féodale de protéger leur vie ou leur carrière par la dissimulation, le double langage, la duplicité et la tromperie.
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