Les démocraties populaires d’Europe de l’Est

Très rapidement, l’URSS devient le modèle de société pour les pays de l’Est. Toutes les institutions y sont reproduites, du Parti unique qui dirige l’Etat au nom du prolétariat à la Commission nationale d’Etat au plan qui règle la production, les prix et les approvisionnements. Certains documents juridiques de l’URSS sont recopiés tels quels, en dépit du bon sens. Ainsi la Tchécoslovaquie se retrouve-t-elle avec un droit de la mer extrêmement développé, car originaire des Etats baltes, tandis que la Roumanie possède une loi autorisant chaque famille exploitant un sovkhoze (ferme d’Etat) à disposer d’un dromadaire, cette règle venant du Kazakhstan.

La planification des économies est associée comme en URSS à l’appropriation collective des moyens de production, bien que certaines formes de propriété privée subsistent assez largement selon les pays et les secteurs, au moins jusqu’au milieu des années 1960. Au sein du CAEM, une spécialisation forte est imposée à chaque pays, qui devient le producteur exclusif pour la zone. Ainsi, les autobus sont-ils produits en Hongrie, les locomotives et les tramways en Tchécoslovaquie et les wagons des trains en Russie.

Sur le modèle de l’Union soviétique, l’agriculture est sacrifiée au profit de l’industrie moyenne et lourde. Alors que l’Europe centrale et orientale est à cette époque en majeure partie rurale, les exploitations agricoles, y compris lorsqu’elles sont productives comme en Hongrie, sont détruites et remplacées par des combinats industriels géants devant respecter à la lettre les règles de l’entreprise de type soviétique (ETS). Jusqu’au milieu des années 1970, la croissance est forte, l’inflation est jugulée et le chômage inexistant. Le modèle soviétique influence même indirectement nombre de firmes occidentales puisque la planification stratégique, principe de gestion élaboré par I. Ansoff, est une adaptation des pratiques des firmes communistes. Cependant, les résultats se dégradent fortement à la suite des chocs pétroliers, pour aboutir à une situation de quasi-faillite économique à la fin des années 1980.

Le caractère déterministe et prétendu scientifique de la philosophie marxiste rendait inacceptable toute contestation de l’idéologie officielle. La religion, « opium du peuple », et la bourgeoisie, symbole de l’exploitation des travailleurs, n’avaient pas de place dans la société. La science, l’art ou l’histoire possédaient également leur version officielle, que la propagande s’efforçait de rendre conforme aux objectifs politiques. Par exemple, les livres de classe des écoliers polonais de Wroclaw en Silésie comportaient un « trou » de sept siècles lorsqu’ils évoquaient l’histoire de leur ville, allemande depuis le XIIIe siècle sous le nom de Breslau et redevenue polonaise en 1945 [2].

Pour la propagande, la vérité et les vertus morales avaient bien peu d’importance par rapport à l’image qu’il fallait donner à soi-même et au monde. Ainsi, les Tchécoslovaques ont-ils été fort étonnés, lorsque M. Gorbatchev est venu en visite officielle à Prague, de découvrir qu’il portait une grande tache de naissance, pourtant absente sur les photos diffusées auparavant. De même les dirigeants de la fédération est-allemande de natation ont t-ils pu juger opportun d’intégrer à plusieurs reprises des hommes dans les équipes féminines nationales, afin de remporter des médailles olympiques qui faisaient la fierté des Allemands de l’Est. Ces « mensonges de la vie courante » prenaient une autre dimension avec les procès truqués, qui ont conduit à l’exécution de milliers de dissidents, mais également de communistes convaincus. La fabrication de preuves et le recours aux faux témoignages n’étaient en rien « illégaux », puisque le droit avait pour fonction de permettre l’avènement de la société communiste et non de fixer des règles générales et imprescriptibles.

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[2] A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les 700 000 habitants allemands de Breslau ont été chassés pour être « remplacés » par 700 000 Polonais, eux-mêmes chassés de Lvov et de Vilnius, ces deux villes ayant été réintégrées dans l’URSS. Des événements similaires ont eu lieu dans l’ancienne région allemande de Stettin (Poméranie), repeuplée en 1945 par les Polonais de Vilnius.

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